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(Suite)

Pour toutes les mères du monde cela aurait été un déchirement ; cela le fut pour elle :

                                       Culpabilité,

                                                      Effroi,

                                                           Douleur ineffable,

                                                                                         Tristesse

De devoir partir sans ses trois filles et de se séparer si vite de son bébé (j’ai été ce bébé).

De laisser sa fille d’à peine six mois ça fait mal en dedans               ça ronge une mère          de ne plus sentir la peau de son bébé / de ne plus la mettre contre tout contre soi

/ de ne plus l’entendre respirer /

De ne plus

De ne plus

De ne plus

 Elle traverse la mer, dans cette agitation intérieure, sans repos…

C’est si long le voyage de Marseille à Oran, sur un bateau…

Etre là /ballottée par les vagues/ seule/ sans son mari

À refaire le chemin qu’elle avait fait à la libération de l’Algérie pour le rejoindre- lui- le nouveau mari- l’inconnu- avec l’espoir en elle qu’il serait un bon mari- que sa vie serait meilleure dans l’immigration que dans son Algérie tant aimée.

 Elle a remis, pour faire ce voyage, ce tailleur qu’elle portait le jour de leur mariage à la mairie en France : Couleur crème sur les pieds sur la jupe et sur le chemisier

Trois enfants depuis et son corps s’est frayé tout de  même un passage entre les coutures de ce vêtement.  Juste coupé sa superbe longue tresse noire jusqu’à la cambrure            /avec les enfants c’est mieux / plus le temps de se coiffer à présent/

Ce sont les femmes de la cité minière qui t’ont montré ce dont tu avais le plus besoin pour vivre ici Et tes belles sœurs, comment parler à ton mari pour qu’il t’accorde…

Tu as trouvé à te préserver un petit moment à toi : prendre un café seule, dans la cuisine, le matin, avant que la maisonnée prenne mouvement, après le départ de ton mari pour son travail en rotation.

Dans cette vie, le bruit de la sirène de la mine est ton pire cauchemar : Tu te mets à courir avec tes filles sous le bras et dans le landau tu accours comme toutes les autres en espérant que ce n’est pas lui !

Ces certains soirs,  tu lui demandes de faire la vaisselle ce soir stp je suis fatiguée. Tu sais qu’il acceptera quand les autres hommes ne feraient pas aux dires des femmes de ton entourage ; il avait proposé de changer les couches de nos enfants, il était toujours prêt à m’aider quand je lui demandais.

Ma vie d’épouse et de mère en somme est égrenée de petites choses :

Le pain chaud fraîchement sorti du four

Le parfum du thym dans tes cheveux

Et chaque semaine, un à un, frotter les draps dans tes mains et les rendre à la blancheur. Avec ton labeur que remarquent les voisines qui te complimentant : « Madame Ahmed, comment fais-tu pour avoir un linge au blanc éclatant ? »

 C’est par ton père que tu es une fille de moudjahid. Tu es si fière après 132 années de colonisation que ton père en ait été des résistants, des héros, des hommes debout. Pourtant pour toi l’Algérie à présent c’est ta patrie de cœur. Il n’y a plus de retour possible malgré l’Indépendance de ton pays. Tes enfants sont nés pour vivre dans cet autre pays, le pays de l’impensable pour toi. Avant.

 De toutes petites choses.

Pour que ton cœur reste dans ta poitrine.

Entendre à côté des nouvelles du bled. S’intéresser. Espérer.

L’été explose sur ce navire et dans son cœur un charivari /d’espoirs/d’amour/de peines. Au cœur en mer.

Elle masse ses pieds à l’huile d’olive. Dans ce geste qui a massé ses enfants.

Elle et ses trois filles pareillement.

Ma mère.

Sans elles. Ses filles laissées à la France, le temps du retour.

  1. Le voyage en bateau fût si long. Devant son pays, dedans ses filles, et comme un proche éloignement d’elle-même.

Elle sentait que quelque chose se passait : une mère sent tout.

 Sa dernière née, arriverait à l’hôpital, en urgence, entre la vie et la mort.

J’y serai transfusée, « récupérée in extremis » disent les médecins à mon père.

En 1968, en néonatologie, on ne savait pas encore l’importance de la présence des parents pour maintenir le lien d’attachement et réconforter le bébé, que seule la douceur parentale rassure.

Ainsi, le sixième mois de ma vie sur cette terre, mon père l’a passé derrière la vitre du service de néonatologie de l’hôpital Saint-Joseph à Marseille, après son travail quotidien et ma mère a du reprendre en urgence un bateau pour venir me retrouver.

Comme les circonstances furent défavorables à la construction du lien d’attachement entre ma mère et moi ! Maman, je t’aime, et  je sais que tu m’aimes comme tu aimes chacun de tes cinq enfants. La saison de la douceur est enfin venue !

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